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The Centre for Studies on Human Stress (CSHS) is dedicated to improving the physical and mental health of Canadians by empowering individuals with scientifically grounded information on the effects of stress on the brain and body.
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Si vous prenez un rat, que vous l’amenez dans une pièce d’un laboratoire de recherche qui est peinte en bleue et que vous le placez dans une cage, il sera tranquille.

 

Toutefois, si une fois placé dans la cage, vous lui administrez un choc électrique (procédure ayant été préalablement acceptée par le comité d’éthique de la recherche), ce rat aura un comportement de stress extrême et de peur.

 

Si, après lui avoir donné quelques jours de repos, vous le placez dans une cage située dans une pièce qui est peinte en jaune, le rat n’aura aucun comportement anormal.  Il sera tranquille.  Toutefois, si après lui avoir donné quelques jours de repos, vous le placez dans une cage située dans la pièce peinte en bleue, il aura un comportement de stress extrême et de peur et ce, même si vous ne lui administrez aucun choc.

 

Cette réaction survient car la première fois que vous avez associé la pièce peinte en bleue avec la survenue du choc électrique, vous avez instauré dans le cerveau du rongeur un ‘conditionnement de peur’.

 

Ce que les scientifiques appellent un ‘conditionnement de peur’ est une forme d’apprentissage dans laquelle une association est créée entre un événement désagréable et/ou négatif (ici le choc électrique) et une stimulation habituellement sans danger (une pièce du laboratoire peinte en bleu). Lorsque cette association se crée dans le cerveau, cela conduit à une peur de la stimulation qui auparavant était sans danger.  Ce qui est fascinant avec le conditionnement de peur est qu’il s’instaure habituellement en un seul essai.  Beaucoup de victimes de trauma pourront vous confirmer qu’il n’a fallu qu’un seul événement pour qu’elles aient peur à tout jamais de la situation les ayant traumatisées.  Bien que le conditionnement de peur explique les sentiments vécus par les personnes ayant été exposées à un événement traumatique, ce conditionnement s’applique aussi à d’autres formes de peur.

 

Ainsi, un conditionnement de peur, c’est un peu ce que nous vivons avec la pandémie de la COVID-19.  Auparavant, nous avions l’habitude de côtoyer (à moins de deux mètres) des dizaines de personnes chaque jour sans avoir peur de ces interactions sociales.  Ce contexte (les interactions sociales à moins de deux mètres) n’était associé à aucun danger et donc, aucun sentiment de peur.  Puis, vint la pandémie de la COVID-19 et les gouvernements ont déclaré l’urgence sanitaire en nous répétant que si on s’approchait à moins de deux mètres des gens, on augmentait la probabilité d’attraper ce virus qui peut être mortel.

 

Chez beaucoup d’entre nous, une seule exposition à cette information a suffi pour instaurer une peur très importante face aux interactions sociales de moins de 2 mètres.  Au cours des dernières semaines, on a lu nombre d’articles et de publications de sources variées rapportant l’histoire de personnes hurlant à un autre individu de s’éloigner d’elles car elles étaient trop rapprochées et leur faisaient peur.  Ainsi, un contexte qui auparavant n’était associé à aucun sentiment de peur (les interactions sociales de moins de deux mètres) est devenu pour bien des gens un indicateur de danger, et donc un contexte qui leur fait maintenant très peur.

 

Cette peur qui s’installe en une seule exposition est nécessaire pour assurer la survie de l’espèce.  En effet, on ne bénéficiera pas de 100 essais avant de comprendre que le tigre devant nous peut être dangereux.  On serait mort avant d’arriver au 3ème essai !

 

Le 10 avril dernier, le premier ministre Legault a soulevé la possibilité que les écoles ouvrent de nouveau vers le mois de mai.  Cette annonce a créé tout un émoi et de nombreux parents et professeurs ont manifesté leur colère en soulignant le fait qu’il leur serait impossible de renvoyer leurs enfants à l’école, un environnement rempli d’interactions sociales de moins de deux mètres et donc, très dangereux.

 

Certaines personnes se sont étonnées de cette levée de bouclier, se demandant pourquoi quelqu’un refuserait de se déconfiner le jour où on nous dirait qu’il est maintenant sécuritaire de sortir de nos maisons et de commencer à interagir avec autrui.

 

Il y a deux raisons à cela.

 

D’abord, le déconfinement peut être très stressant. Comme je l’ai résumé dans mon premier blogue portant sur le stress de la COVID-19, il y a de très grandes différences individuelles dans la résistance au stress. Certaines personnes sont très résistantes au stress, tandis que d’autres le sont moins.  Il est à prévoir que les personnes qui ont une moins forte résistance au stress exigeront davantage d’informations sur la sécurité liée au déconfinement avant de sortir de la maison.  À l’inverse, les personnes très résistantes au stress s’impatienteront de toutes les étapes qu’il faut suivre avant de se déconfiner complètement, tapant du pied sur le bord de la porte, prêtes à retourner travailler ou s’amuser.

 

La deuxième raison qui peut expliquer un recul face au déconfinement est liée au conditionnement de peur.  Bien que les recherches aient montré qu’on peut généralement apprendre la peur en une seule exposition, il est de loin plus difficile et plus long d’apprendre à ne plus avoir peur !

 

Revenons à notre rat dans la pièce peinte en bleue.  La première fois que vous le ramenez dans cette pièce après lui avoir administré un choc lors d’une première exposition, il aura un comportement de stress extrême et de peur dès que vous passerez le pas de la porte en le tenant dans vos mains.  Si vous le déposez dans la cage et que vous ne lui administrez pas de choc, il aura quand même un comportement de stress extrême et de peur. Si vous revenez dans la pièce bleue le lendemain sans lui administrer de choc, il aura encore un comportement de stress extrême et de peur.  Si vous revenez dans la pièce bleue sans lui administrer de choc pendant 15 jours, le rat apprendra lentement à cesser d’avoir peur.  Ainsi, au fil des jours sans choc, il commencera à apprendre que la pièce bleue est maintenant associée à la sécurité.  C’est ce qu’on appelle le phénomène d’extinction de la peur. Le rat doit apprendre à éteindre sa peur.  Et pour cela, on doit l’exposer à la source de sa peur pendant de nombreux essais, sans lui donner de choc.

 

Alors, bien que les personnes ayant une forte résistance au stress risquent de se lancer sur les pistes cyclables ou autres activités de leur quotidien pré-COVID-19 dès que le gouvernement annoncera le déconfinement, il est clair que les personnes ayant une faible ou moyenne résistance au stress risquent de continuer d’avoir peur de sortir plus longtemps.  Pour ces personnes, il sera essentiel d’apprendre à ne plus avoir peur des interactions sociales.  Pour réussir à se déconfiner sans trop de stress, ces personnes devront lentement s’exposer à des interactions sociales et réapprendre que ces expositions ne sont pas l’équivalent d’une mort certaine.  Et ce sera à force de réapprendre que les interactions sociales ne sont pas dangereuses que celles-ci pourront vivre un déconfinement sans trop de stress.

 

On aura compris ici que sur le plan du stress, un déconfinement progressif sera de loin préférable à un déconfinement trop rapide.

 

L’ensemble des données scientifiques portant sur l’apprentissage de la peur et la résistance au stress nous mène à comprendre qu’il sera essentiel, lors de l’annonce d’un déconfinement, d’être compréhensif face au comportement des gens autour de nous.  Cela ne servira strictement à rien de juger une personne sur sa peur de sortir ou sur sa rapidité à passer le pas de sa porte.  Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, il existe d’énormes différences individuelles dans la réactivité au stress et à la peur et c’est ce qui fait la beauté de la nature humaine.  En effet, ce sera en observant les personnes à forte résistance au stress sortir de leur maison sans effets négatifs que les personnes à plus faible résistance au stress apprendront doucement à cesser d’avoir peur.

 

Et encore une fois, c’est ensemble qu’on y arrivera !

 

  1. Si vous désirez en connaître un peu plus sur la science de la peur, n’hésitez pas à écouter les 7 premières minutes de l’épisode 2 de ‘Quatre chercheurs et un virus’ durant lesquelles Dre Marie France Marin discute des mécanismes à la base de l’apprentissage de la peur… et de la sécurité. Vraiment très bon !